PAUL ET SA DESTINEE
PAUL ET SA DESTINEE
Allongé dans la grange, Paul sentait la paille qui lui piquait les mollets. Il
se leva lentement. Cela faisait bien 10 minutes que Thérèse était repartie.
Pour la première fois, , a bientot 16 ans, Paul venait de connaitre la femme,
et il sentait qu'une métamorphose venait de se faire en lui.
Pourtant, la chose en elle même n'avait pas été extraordinaire, et a vrai dire,
il se sentait un peu déçu.
Pourquoi fait on tant d'histoires, pour un acte somme toute banale?Peut être
parceque Paul n'était pas vraiment amoureux de Thérèse?
En tous cas, aprés on se sent trés bien, et Paul savez qu'il venait de prendre
un tournant dans sa vie.
Devant le portail de la grange, les jambes légèrement écartées, les poings sur
les hanches, Paul sentait en lui, une extraordinaire vigueur. Ses poumons lui
semblaient plus vastes, ses forces étaient décuplées, sa confiance en lui
illimitée.
Cette fin de matinée était radieuse. Pas un nuage dans un ciel bleu profond
d'Avril.
D'aprés la position du soleil, il devait être 10 heures, et s'il voulait aller
faire un tour au marché de Valréas ( on était mercredi), il faudrait qu'il
aille " se faire beau"
Oui cette matinée de 1962 était magnifique dans ce petit village du Vaucluse,
et Paul sentait confusément que quelque chose commençait pour lui. Quelque
chose qui n'était pas directement lièe avec ce qui venait de se passer, mais
qui n'aurait pu démarrer sans cela.
Un jeune garçon était entré dans la grange, un homme venait d'en sortir.
Depuis des mois déja,il sentait que sa petite vie calme, protégèe par ses
parents, cette vie ou il ne se passait rien ne pouvait durer.Mais il s'était
senti incapable de sortir de cette routine ronronnante
La ferme dans laquelle il habitait avec ses parents, venait de sa mère qui
maintes fois lui avait parlé de ses parents, ses grands parents....il semblait
que de toute éternité son ascendance avait vécu dans cette ferme, , cultivant
les mêmes récoltes, sur les mêmes terres. Et la destinèe de Paul semblait toute
tracée. Et cela il ne le voulait pas.
Paul avait déja pensé a tout ça, et cela lui procurait une sorte de malaise,
mais que peut on contre la destinée?
Aujourd'hui, pour la première fois il pensait qu'il n'y avait rien
d'inéluctable...
Pour se débarrasser du trop plein d'énérgie qu'il sentait en lui, Paul se mit a
courir pour rentrer a la ferme, ou il arriva haletant, trempé de sueur.Il se
dirigea aussitot sous le hangar, perpendiculaire a la maison, qui abritait des
instruments aratoires et la pompe..
Faisant énérgiquement monter l'eau de la pompe a plein tuyau,il fit une énorme
toilette, comme celle du Dimanche. Sur le rebord du bac en pierre, le peigne
familial était là à demeure. Paul se "fit une beauté", c'est a dire
que les cheveux bien plaqués, il traça minutieusemnet une raie bien droite,
juste au milieu, puis se lava une dernière fois les mains.
Derrière la pompe, il n'y avait que 2 bicyclettes: celle de sa mère, plus
récente qui ne devait pas avoir plus de 2O ans et la sienne,plus ancienne et
qui venait de sa mémée.( Paul avait d'ailleurs un peu honte de monter sur une
bicyclette de femme, mais tous ses copains n'avaient pas une bicyclette a eux)
Le père était donc parti a Blache sautel, voir si le blé de printemps levait
bien.
Comme il l'avait vue cent fois, sa mère dans la cuisine "rapetassait"
des vétements, et Paul lui dit:
- M'man, je vais au marché, je ne rentrerai pas a midi, je mangerai chez tata
- Va mon fils. Et dis a Tata que nous les attendons Dimanche.
C'est en montant les marches qui le menaient a sa chambre, que Paul sut qu'il
allait partir.
Il fit un gros paquet avec ce qui constituait son modeste
trousseau.2 pantalons de travail, 3 chemises' 3 paires de chaussetes,2 caleçons
et une paire de galoches.. Il revétit ses " habits du Dimanche" et
jeta le paquet de vétéments par la fenètre qui donnait sur le pré, derrière la
maison.
Dans le bas de la vieille armoire, il avait
mis depuis trés longtemps, (depuis son certificat d'études) ses cahiers d'école
et 4 livres dont son préfére: Un atlas.
Il arracha une page a l'un des cahiers,
choisit un crayon taillé bien pointu, ,réfléchit longuement et écrivit:
" JE PARS. GROS BAISERS PAUL"
Il regarda son oeuvre, et fut émérveillé
d'avoir pu dire tant de choses en si peu de mots.Tout était dit en effet.
Je pars.c'est a dire que je ne reviendrai
plus. Gros baisers, cela voulait dire, je vous aime bien, et si je pars, ce
n'est pas a cause de vous. Il posa sa lettre bien en vue sur l'oreiller, puis
descendit dans la cuisine ou sa mère continuait ses ravaudages.
- Au
revoir, M'man. Il déposa un baiser sur le front de sa mère, et sortit.
Il réalisa alors qu'il n'avait aucune peine,
aucun remords, mais au contraire une énorme exaltation, a la pensée qu'il
partait a l'aventure, en Homme maitre de son destin.
Sautant sur son vélo, il contourna la maison
pour récupérer son paquet de vétements dans le prés, paquet qu'il ficela sur
son porte bagage avec de la ficelle de batteuse, et s'élança sur la
route....non de Valréas, mais de Richerenches/ Il ne lui serait pas venu a
l'idée de partir a l'aventure dans une autre direction que le sud.
Paul pédalait sur sa vieille bicyclette
depuis 15 minutes, l'esprit complètement vide, lorsqu'il reprit conscience.Il
était sur la route, a bicyclette, il venait de dépasser Tulette, et il s'en
allait pour toujours.Tout cela était certain. Mais ou allait il?Pour faire
quoi? Que voulait il exactement? Sur tout cela pas le moindre début de
réponse.Etait il devenu fou subitement?. En un instant son esprit vide depuis
le départ, s'emplit d'angoisses. Ce n'était pas sa destinée future qui le
terrorisait., c'était un avenir beaucoup plus immédiat.. Ou aller? Ou manger?
Ou se coucher?. La seule chose dont il était certain, c'est qu'il ne
reviendrait pas a la ferme..
En s'approchant d'une fontaine alimentée par
un puissant jet d'eau sortant d'un bec de canard,, Paul s'arréta pour se
rafraichir et faire le point..
Ses ablutions terminées,il fallut regarder
les choses en face.
D'abord recenser ses ressources.. Dans son
pantalon des Dimanches, il avait son porte monnaie qui contenait35F60, l'argent
rescapé des dernières etrennes.. C'était l'assurance de pouvoir manger, 2 ou 3
jours en " faisant petit". pour les vétements il avait largement de
quoi voir venir, mais il fallait économiser les habits du Dimanche, et se
changer rapidement.Le problème le plus embétant: Ou coucher ce soir? Les nuits
étaient encore fraiches. Paul n'était pas frileux. Pourtant, s'il pouvait
trouver un de ces petits cabanons en pierre construits dans les vignes, et qui
permettaient aux paysans de se reposer a midi, de casser la croute et faire une
petite sieste,pendant la taille, les traitements ou les vendanges, ce serait
parfait..
Pas mécontent du tout de son analyse, sa soif
apaisée,son corps rafraichi,le malaise qui l'avait envahi tout a l'heure
s'était évaporé.Il fallait acheter quelques provisions,trouver une cabane,
mettre des habits de travail, et demain, il saurait bien faire un plan aussi
satisfaisant que celui d'aujourd'hui.
A la boulangerie il s'acheta la moitié d'un
gros pain ( c'est ce qui était le moins cher)et a l'épicerie une bouteille
d'eau gazeuse( ça c'était du luxe, mais la bouteille ensuite pourrait servir
indéfiniment.Il hésita longtemps sur ce qu'il allait acheter pour manger avec
son pain, et se décida pour une petite boite de purée de marron, ( son couteau
6 lames avait un ouvre boite) Ce n'est pas trés cher et ça "tient au
ventre".
La moitié de son pécule était passé, mais
Paul sentait confusément que pour le premier soir, il était important que le
moral soit bon.
Aprés avoir roulé encore une bonne heure,
Paul arriva sur un petit pont qui enjambait un ruisseau. Un chemin partait sur
la droite, et longeait le ruisseau.Il s'engagea lentement sur le chemin a la
recherche d'un coin agréable pour faire une pause.
Au bout de 300 mètres, il arriva prés d'une
prairie, bordée de saules le long du ruisseau et encadrées de haies vives sur
les 3 autres cotés.
Un troupeau de moutons paissaient au milieu
de la prairie, et un chien de berger, en fait un batard de petite taille, se
précipita sur Paul en aboyant. Paul descendit de bicyclette et tendit la main
vers le chien en parlant doucement.. Quelques secondes plus tard, le chien
frétillant de la queue et de tout l'arrière train, vint se faire caresser.
Soudain a quelques mètres de là, Paul
entendit une jeune voix cristalline.
- Vous
êtes dompteur Monsieur?
Paul, plus surpris encore de l'appellation de
" Monsieur" que par une présence qu'il n'avait ^pas décelée, ne sut
que répondre et chercha d'ou venait cette voix.. Il vit alors, a l'ombre d'un
murier une jeune fille assises sur une couverture, un livre ouvert a ses cotés
- Excusez moi Monsieur si je vous ai fait
peur, mais il est tellemnt rare que Fifi se laisse amadouer aussi rapidement...
- Je n'ai pas eu peur, Mademoiselle…….
seulement un peu surpris.Non je ne suis pas dompteur mais j'aime les chiens et
ils doivent le sentir. C'est peut être moi qui vous ai fait peur?
-Oh non! je vous ai vu arriver et vous n'avez
rien de redoutable. Mais je crois que vous avez du vous tromper de chemin,
celui ci ne mène qu'ici.
- Non, je ne me suis pas trompé, je cherchais
un endroit agréable pour me reposer et j'ai suivi le ruisseau
- Pour les endroits agréables ( elle fit du
bras un geste circulaire)vous n'avez que l'embarras du choix
- C'est vrai. Mais je dois dire que vous avez
choisi le plus beau.
- Oh, vous pouvez vous reposer. Cela ne me
gène pas.
- Moi, ça me gène un peu. Vous ne me
connaissez pas.
-Si Fifi a fait ami avec vous aussi vite,
c'est que vous ne devez pas être bien méchant
- Alors je vais m'arréter un peu. Je roule
depuis 11 heures ce matin.
- Alors vous n'êtes pas dompteur mais coureur
cycliste?
- Ne vous moquez pas de moi.Vous avez vu ma
bicyclette.. Non. Je ne suis ni dompteur ni coureur cycliste. Et si vous
pouviez me dire qui je suis, j'en serais bien content.
- C'est une devinette?
- Oh pas du tout, malheureusement.
- Je ne comprends pas. On est tous quelqu'un.
Et vous devez bien savoir qui vous êtes?
- Hier oui, je le savais. Mais aujourd'hui,
non.
La jeune fille le regardait mais n'osait plus
le questionner. Paul ne savait plus que faire. Prendre sa bicyclette et
repartir, ou s'asseoir a quelques mètres d'elle.Elle vit son hésitation
- Ecoutez, vous vouliez vous reposer, faites
le cela ne me gène pas. Si vous voulez parler, nous parlerons, si vous préférez
vous taire, nous nous tairons et je ne vous poserais aucune question.
- Merci.
Paul s'installa sur une souche de saule,
et pendant un moment ils s'épièrent a la dérobée;
( A suivre)